« Je suis donc simplement supposé vendre la maison, et revenir. On est d’accord ? »
Sa question lui valu un énième roulement de yeux de la part de son frère. Il l’avait entendu un millième de fois ces trois derniers jours… « Oui. Et tâche d’en tirer un bon prix. »
« C’est pas comme si on était à court d’argent. Je ne comprends toujours pas pourquoi je dois le faire. » Nat se plaignit encore. Il ne se lassait pas de donner son point de vu.
« Parce qu’on a joué, t’as perdu.
Deal with it. Et non, on n’est pas à court d’argent. Mais tu y vas, tu passes la maison au peigne fin, tu vois si maman n’y a pas laissé un truc pour nous, on ne sait jamais, puis tu reviens. »
« On ne connait pas cette maison, on y est jamais allés, pourquoi elle y aurait laissé un truc pour nous ? Sérieusement ? Ce n’était pas une chasseuse. Et encore moins sa famille. On ne les a pas connus. Je ne sais même pas à quoi c’est censé ressembler… »
« On est les seuls héritiers. Tu fais ce que je te dis, point. »
Il haïssait être sous ses ordres. Il détestait l’idée de s’éloigner de lui encore plus. Son frère pouvait se monter vraiment insupportable parfois. Mais il savait que tergiverser avec lui n’y changerait rien. Il allait devoir y aller, tôt ou tard. En discutant avec lui, il gagnait simplement quelques précieuses minutes, rien de plus. Il referma la malle de sa voiture, avant de lâcher un soupire las. Il n’avait jamais été éloigné de lui plus de trois jours de ses 31 années d’existence. Et maintenant, il partait pour quinze jours, tout au plus.
« T’as tout ce qu’il te faut, normalement. N’oublie pas de surveiller trois fois tes arrières et deux fois tes devants. Tu vas peut-être sur un terrain miné. On ne connait rien de cette ville. »
Il se laissa glisser sur le siège côté conducteur avec aisance. Son frère le suivit. « Et reviens-moi en un morceau. » Le regard que son frère lui jeta lui glaça le sang, d’une part, et d’autre part le fit sourire. C’était à la fois une menace (mais dans le cas où il ne revient pas en un seul morceau, quelle importance ?) et une façon de lui dire qu’il tenait à lui, après tout, et qu’il l’aimait. Il était la seule famille qu’il lui restait. « Et n’oublie pas que le whisky ne fait pas pousser d'ailes. » Était-ce de sa faut s’il croyait volait à chaque fois qu’il buvait ? Il lui était déjà arrivé de s’écraser contre le bitume plus d’une fois en sautant d’un parapet, d’un muret ou même du toit de sa voiture. A en oublier qu’il n’est qu’un simple humain. « Et n’oublie pas de faire tes exercices. » Il poussa une nouvelle fois un profond soupire, avant de répondre, un sourire cristallin collé au visage : « Oui maman. » ce qui lui valu une tape sur le haut du crâne. Il y avait droit à chaque fois qu’il disait une chose stupide. Souvent, en l’occurrence. Il ne comptait même plus le nombre de neurones qu’il perdait à chaque tape. Il se frotta la tête puis releva ses yeux verts vers son frangin : « S’il se réveille… » Il était hésitant sur ce qu’il voulait dire. Oui, si il se réveillait. Mais cela faisait déjà deux ans. Deux ans qu’il était dans un coma profond… « Tu seras de retour bien avant, j’en suis certain. On ne va pas s’envoler Nat. » Il fronça les sourcils. « Tâche de ne pas chasser sans moi. Les problèmes peuvent venir à toi, mais toi ne va pas à eux. Évites les. Nat. Je suis sérieux. N’interfère pas dans des histoires qui ne te concernent pas et reviens-moi. On a assez à faire ici. »
Des conseils, encore des conseils, toujours des conseils. Voire des ordres. Bien sûr qu’il n’allait pas aller à la rencontre des problèmes. Sauf que s’ils venaient à sa rencontre, que pouvait-il faire hein ? Hormis riposter pour se défendre ? Bon ok parfois il lui arrivait de foncer dans le tas, parce qu’il aimait l’action, il aimait s’élancer dans des quêtes perdues, il n’était pas la tête réfléchie de leur duo, mais bien celle qui agissait d’abord, puis avisait selon la situation. Son frère fit claquer la portière de sa voiture avant de reculer, croisant ses bras. Il savait qu’il mourrait d’envie de sauter dans la voiture avec lui. Mais ce n’était pas possible. Il devait rester ici, avec
lui. Nat démarra la voiture. « Bye frérot. » Il lui fit un sourire sincère avant de partir en trombe. Il jeta un coup d’œil à son rétroviseur. Son frère s’éloignait, devenant un petit point, jusqu’à ne plus être visible.
Merde. Maintenant, il était vraiment seul. ***
Ok. Il devait aviser très vite. Se faufiler derrière la grange, suivre ce putain de plan à la lettre. Normalement, les complications étaient rares. Les imprévus, ça arrivait, mais ils se démenaient toujours pour s’en sortir. Il s’agenouilla devant une petite ouverture, et y jeta un coup d’œil. Rien. Le noir total. Ça c’était pas bon. Pas bon du tout. Il se releva, reprit son chemin, aussi silencieusement que possible, jusqu’à la porte qu’il poussa du pied avant d’y entrer.
Regarde trois fois tes arrières et deux fois tes devants. On lui avait rabâché les oreilles avec cette adage durant toute sa vie. Ça avait commencé dés son enfance.
Les créatures surnaturelles existent. Notre objectif dans la vie est de les combattre. Notre famille se passe le fardeau depuis des générations. On ne doit pas faillir à notre devoir. Et notre honneur sera sauf. Blablabla. En attendant, il avançait dans une grange à pas feutré. Mais bien entendu,
ils avaient l’oreille fine. Sans doute pour cela qu’il se retrouva plaqué au sol en moins de deux. Et avec deux côtés cassés maintenant. Un poids inhumain l’écrasé au sol, le souffle tiède de la bête contre son visage. « Alvaro. Ben voyons. J’aurais dû mon douter. Qu’est-ce que tu viens faire ici ? » Nat cligna des yeux. Il avait franchement un mal fou à respirer. Son pouls s’était accéléré. « Hm... Passé dire bonjour? Je te retourne la question. » Il trouvait cette bête répugnante. Il avait juste envie de lui planter une balle quelque part. Ou mieux, un couteau en plein cœur. La torturer un peu avant de la fusiller. « Fort aimable à toi… où est l’autre ? Un Alvaro ne marche jamais seul. »
« Juste ici. » Certainement surprise, parce qu'elle n'avait pas entendu ses pas, trop absorbé par son plaquage, la bête leva les yeux vers la voix, et le visage de Cébrian apparu, en une fraction de seconde, tout s’enchaina. Son sourire angélique, et le fait qu’il appuya sur la détente sans demander son reste, la balle en argent se faufilant pour se planter entre les yeux du loup-garou. Nat repoussa le corps avant de se relever. « Waw merci. » Son frère leva les yeux au ciel, l’air exaspéré. « Combien de fois t’ai-je dit de ne pas te précipiter ? Te mettre à découvert ? Tu me fatigues. Je ne serais pas toujours là pour couvrir tes arrières. » Nat passa un bras autour des épaules de son frère. « Bien sûr que si, tu seras toujours là. » Il avait la fâcheuse tendance à relâcher sa vigilance lorsqu’il avait Ceb près de lui. Ou du moins, il se permettait de réfléchir carrément moins. Cerveau sur off depuis 20 ans. Tandis que lui-même prenait le temps de discuter avec ses victimes, comme un parfait vilain, Cebriàn se contentait de les tuer dés qu’il en avait l’occasion. Ni plus, ni moins. Et ça, il l’avait appris de leur père.
***
« Ok c’est quoi ce délire ? C’était sensé être une maison. Pas… ça. » Son téléphone collé à l’oreille, il entendait son frère rire à l’autre bout du fil. « Ben tu vois, je t’avais bien dit qu’elle y avait laissé un truc pour nous. »
« Un truc, je veux bien. Une arme, un livre, un carnet, son journal intime d’ado, une chemise que sais-je… Sa bague de mariage même. Mais pas une librairie. Je suis sensé en faire quoi ? Dis-moi ? Tout passer au peigne fin ? Tu sais combien de temps ça va me prendre ? »
« Je te conseille de commencer dés maintenant alors. Bon courage ! » Et il raccrocha. Nat regarda la porte vitré. L’écriteau disait « close ». Merde. Les quinze jours prévus initialement allait devoir être rallongés. Un mois peut-être. Il allait devoir s’occuper d’une librairie. Non pas qu’il déteste ces endroits. Oh non, bien au contraire. Il détestait d’une part, l’idée de devoir la vendre alors qu’elle leur appartenait, et d’autre part de devoir d’abord tout regarder. Et aussi parce qu’elle se trouve au mauvais endroit. S’il n’avait pas été barman, il aurait certainement choisi le métier de libraire. Mais disons que ça ne concilier pas vraiment avec les espérances de son frère. Céb voulait ouvrir un bar, et bien sûr ils l’ont ouvert. Parce que ce que veux Céb, Céb l’obtient. Mais qu’importe. Autant jouer au libraire quelques jours… ça ne ferait de mal à personne non ? Et puis cette ville était charmante,
Storm Hills.