Ses yeux bleus-gris braqués en l’air, vers cet astre si rond, si plein, si blanc et si brillant,  Awentia observait, dans un quasi’ silence, sa première pleine lune. Elle agitait ses petites mains en direction de cette crêpe si luisante, qui attirait sa curiosité et la tenait éveillée. Elle voulait tant l’attraper, la serrer contre elle, ressentir sa chaleur, mais ses petits bras semblaient désespérément être trop court pour pouvoir mener à bien une telle entreprise. Ses petits bruits de déglutition étaient là pour prouver son entrain, bien que dans sa joie, la petite se montre mesurée. Il fallait dire qu’à côté d’elle, dans le berceau attenant, Awinita, sa sœur jumelle, dormait, elle, paisiblement, tout en s’agitant dans son sommeil et en fronçant son petit nez. Et Awentia ne tenait absolument pas à réveiller sa jumelle, semblait-il. Toutes deux n’avaient que quelques semaines, et venaient tout juste d’arriver aux Etats Unis. Naître à l’étranger, c’est ce qui arrive lorsque vous vous décidez à pointer le bout de votre nez avant la date annoncée à votre mère, et quand la dite mère est en voyage scolaire, avec toute sa classe, à l’autre bout du monde, ou presque. Phoenix Park … C’est là que les jumelles ont vu le jour, après que leur mère, Tamryn, âgée de 16 ans, se soit retrouvée pliée en deux, par des contractions, et ait décidé de quitter la pension de jeunesse où sa classe logeait, pour se rendre dans un parc, dans un endroit isolé. Sans doute s’était-elle dit qu’ainsi, elle serait en paix, au cas où son contrôle s’étiolait face à la douleur. Tamryn s’était retrouvée seule, loin de sa meute, en plein parc, dans un pays qui n’était pas le sien, et alors qu’elle s’apprêtait à enfanter, à un âge où d’autres sont encore en train de rougir rien qu’à la première mention de quoi que ce soit qui ait un rapport avec le sexe. Tamryn avait dû se contrôler, tout en accouchant, pour ne pas se transformer, alors même que gérer ces deux choses, si entières, si elle-même, à la fois, n’était de loin pas l’entreprise la plus aisée qui soit. Elle n’avait appelé les secours que par la suite, lorsque ses deux filles étaient enfin nées. Le laps de temps pendant lequel elle avait attendu les secours lui avait donné l’opportunité de donner un prénom à chacune de ses filles : Awentia, et Awinita, deux prénoms Cherokee, qui signifiaient tous deux « faons ». Une façon comme une autre d’honorer les origines fortement amérindiennes des Blackhawk (ou « faucon noir »), et de faire un clin d’œil à ce faon, un vrai, celui là, qui avait joué au curieux en observant Tamryn bercer doucement ses deux nouvelles-nées, avant de s’enfuir en galopant dans le premier bosquet venu, alors que les sirènes des secours retentissaient enfin. Durant les longs jours qui avaient suivi, les jumelles n’avaient rien vu d’autre que l’intérieur de leur couveuse respective, dans le meilleur service néo-natal de Dublin, capitale de la République d’Irlande. L’intérieur de leur couveuse, et les yeux rêveurs, et assez inquiets, de leur mère, puis de leur grand-père maternel, et de quelques uns de leurs oncles et tantes maternels, venu soutenir la jeune femme, et rencontrer les jumelles. Un univers médicalisé, aseptisé, dans lequel elles ne s’étaient pas forcément senties bien. Elles avaient d’ores et déjà ressenti le besoin d’être près des leurs, tout contre eux, en peau à peau. L’envie de nicher leur nez dans le cou de leur mère, de ressentir son odeur, d’exercer de petites sucions tout contre sa peau. De ronronner, ou presque, de plaisir, rien que parce qu’elles se seraient senties en sécurité, entières, et faisant partie d’une meute. Quelque chose comme ça. Cependant, pas de père, ni de famille paternelle, à l’horizon, et pour cause. Les amourettes, et les relations sexuelles qui finissent mal, ça existe aussi chez les loups-garous. Tamryn n’avait jamais voulu dire qui était le père, et elle n’en démordrait pas. Mais toutes ces préoccupations là étaient loin, très loin, pour les deux jumelles. Pour le moment, la pleine lune les berçait, de ses faisceaux lumineux, chaleureux, protecteurs, aussi. Alors qu’alentour, les loups-garous se tenaient sur leur garde, certains étaient même enchaînés, au cas où … Et Awentia observait la lune, dont la couleur grisée faisait quelque peu écho au bleu-gris des yeux de la toute petite fille. La lune, ronde, pleine. Ses yeux à elle, grands ouverts, presqu’écarquillés, même, et bleu-gris. Une première rencontre directe, le début d’une histoire compliquée et complexe. Le début d’une vie, surtout … Le début d’une vie.


De grosses larmes roulaient sur ses joues, inondant son visage, et faisant luire d’un éclat si triste l’iris de ses yeux bleus-gris. Elle avait eu beau tambouriner sur le dos de Camden, jusqu’à sentir ses poignets lui faire mal, mais rien n’y avait fait. Camden, l’un des frères de sa mère … Awentia fermait les yeux, et elle revoyait son corps, ou plutôt, son tronc. Elle avait été coupée en deux. Son visage était fiché dans une affreuse douleur, ses yeux avaient été crevés. Mais jusqu’au dernier moment, elle avait tendu les bras, et tendue le regard, en direction de ses filles, alors introuvables. Les poings d’Awentia frappèrent alors encore plus fort contre le dos de son oncle, qui la serrait fort contre lui alors qu’ils étaient assis sur la banquette arrière de l’un des gros 4x4 des Blackhawk. Les Blackhawk … Les membres survivants se comptaient sur les doigts d’une main : Awinita, Awentia et Camden. 11 et 25 ans. A l’avant du véhicule, deux membres de la meute étaient eux aussi sur les nerfs. Et, derrière, un second 4x4, qui les suivait, avait peiné à se remplir d’autres survivants. 3 Blackhawk, et 7 autres loups-garous … Awentia frappait, encore et encore. Elle voulait que rien de tout ceci ne se soit passé. Elle voulait que l’on remonte le temps, qu’on empêche ces enfoirés de chasseurs de prendre en traître une meute entière, en empoisonnant les boissons avec de l’aconit, lors du mariage de Camden. Elle voulait encore pouvoir se blottir contre sa grand-mère, Tara-Lynn, Alpha de la meute, du haut de ses 54 ans, et capable de se transformer totalement en loup : Awentia voulait enfouir ses mains dans son pelage, sentir la louve se coucher tout contre elle pour la réchauffer en hiver alors qu’elle avait senti sa petite-fille, endormie, frissonner. Mais tout ce qu’il restait de Tara-Lynn, lorsqu’Awentia était sortie de sous l’estrade montée dans l’immense parc de la propriété des Blackhawk, c’était un cadavre de loup, en partie dépecé, et entouré d’aconit. Camden l’avait alors empêché de s’approcher, et alors qu’elle s’était retournée, elle avait croisé son regard, d’un rouge si puissant. Et elle avait compris : il n’y avait plus qu’eux, maintenant. Certains avaient été coupés en deux, d’autres avaient été empalés, d’autres encore avaient été noyés, dans le petit lac attenant. Awentia voulait pouvoir tirer sur les boucles de cheveux de sa mère, grimper sur les épaules de ses oncles et de ses cousins plus âgés. Elle voulait à nouveau se sentir jeune, vivante, et en sécurité. Elle voulait tant hurler, mais sa voix restait éternellement bloquée dans sa gorge. Et si un son, un éclat était parvenu à sortir, la cassure et la brisure auraient rendu le tout encore plus tragique. Elle voyait Awinita, prostrée, appuyée contre la fenêtre. Elle la voyait blanche, si blanche. Et cela lui brisait encore plus le cœur. Des deux, c’était Awentia l’aînée. Awinita et Awentia, de parfaites jumelles. Alors, dans cette vitre, Awentia voyait son reflet, son double, son autre, brisée. L’image de celle qu’elle aurait été, si les rôles étaient inversés. Ses cheveux étaient emmêlés, sa si jolie robe, tâchée. De ci de là, des tâches de sang maculaient sa peau et ses habits. Elle sentait le goût métallique de l’hémoglobine sur ses lèvres, et dans sa bouche. A moins qu’elle ne se soit mordue la langue si fort pour ne pas crier … Son propre reflet lui renvoya l’image de ses yeux, qui venait de changer de couleur, le bleu-gris laissant place à cette couleur dorée, celle de la louve Beta qu’elle était. Ses griffes labourèrent le dos de Camden, mais celui-ci ne desserra pas son étreinte. Elle sentait cependant les larmes glacées de son oncle, qui coulaient sur son dos à elle. C’était lui, leur nouvel Alpha, à présent. Et il se devait de ne pas craquer, ou si peu … Brusquement, un hurlement résonna dans l’habitacle, et ce n’est qu’en sentant Camden la serrer encore plus fort qu’Awentia comprit que ce hurlement, digne de celui d’un loup, provenait de sa poitrine, du plus profond d’elle-même.


Elle n’osait même pas rouvrir les yeux. Elle ne voulait pas. Elle redoutait tant ce moment. Et pourtant, elle savait parfaitement ce qu’elle y verrait, dans ce miroir lézardé de brisures, et accroché de travers sur le mur. Elle y verrait ses yeux, bleus. Pas le bleu-gris habituel, non. Un bleu glacial, froid. Un bleu qui tombe comme un couperet, qui vous place dans une catégorie, celle de ceux qui ont osé ôter la vie à un innocent. Alors Awentia baisse la tête, et tremble tout ce qu’elle en sait. Ses yeux s’ouvrent, enfin, mais se fixe sur ses mains. Ses griffes sont toujours rétractées, et sont couvertes de sang. Son sang. A Elle. Le souffle d’Awentia est laborieux, parce qu’elle a couru, encore et encore. Elle le sait, et elle le sent, mais son visage, ainsi que ses mains, sont griffés en tous sens, par les branchages et les ronces contre lesquelles Awentia a dû se battre pour progresser de plus en plus vite, encore et encore. Les blessures se résolvent, se soignent, ça aussi, elle le sent. Tout comme elle sent son nez se réparer, brisé par un coup de poing violent ; sa plaie, béante, au flanc, commence elle aussi à se refermer. Mais il en va ainsi pour les blessures physiques, uniquement. Les blessures morales, psychiques, psychologiques, elles, elles perdurent. Le métabolisme des loups-garous ne peut strictement rien contre ces fêlures et déchirures là. Ça a recommencé, encore. Awentia a encore vu la meute à laquelle elle appartenait être décimée. Mais cette fois-ci, il y a eu moins de survivants, et pour cause. Pourtant, ils avaient pris toutes les précautions possibles. Ils avaient changé d’identité, chacun d’entre eux. Ils n’étaient jamais restés plus de 4 mois au même endroit. Ils avaient déménagé, erré, à travers tous les Etats Unis. A plusieurs reprises, Awentia avait demandé à Camden s’il n’avait absolument aucune idée de qui était son père. Tamryn leur avait juste dit qu’il était des leurs, à savoir, un loup-garou. Fils d’Alpha. Mais les meutes étaient nombreuses, et les jeunes loups, cela reste des jeunes : ça bouge, ça va, ça vient. Peut-être que si Tamryn leur avait donné un nom, ou même juste un prénom, juste quelque chose, n’importe quoi, qui leur permettrait de retrouver sa trace, de demander de l’aide. Mais elle s’était méprise : maintenant qu’elle y repensait, elle se disait que son père ne voudrait pas d’elle. Parce qu’il n’avait jamais repris de nouvelles de Tamryn. Sans doute ne se souvenait-il même pas d’elle. Brusquement, Awentia releva les yeux. Le bleu glacial la heurta, plus qu’elle ne s’y attendait. Mais c’était un fait, il était là, ce bleu tant redouté. Awinita … A cette simple pensée, Awentia sentit le sol se dérober sous ses pieds. Elle reprit appui, de justesse, sur le rebord de ce lavabo sale, de cette porcelaine brisée et coupante en divers endroits. Awinita avait été très grièvement blessé, lorsque leur meute nomade avait été décimée. Trop grièvement blessée pour survivre. Encore et encore, elle avait supplié sa sœur de l’achever. Awentia avait fini par craquer, pour la faire taire, pour ne plus entendre cette voix brisée, et chargée de sanglots. Awentia avait achevé sa sœur, sa sœur jumelle, il n’y avait pas d’autres mots. Elle avait sectionné sa jugulaire. Le sang avait coulé à flot, et Awinita était alors partie, en une fraction de seconde, et sans souffrir. Et Awentia était restée prostrée, pendant longues minutes, serrant sa sœur contre elle, sentant ses vêtements, déjà trempé par la pluie qui avait décidé de tomber, abondante. Et maintenant, Awentia, âgée de 16 ans, était absolument seule. Seule, dans les toilettes d’un motel moisi, paumé, elle ne savait trop où. Tout ceci venait d’arriver, et pourtant, Awentia percevait tout comme à travers la brume, et à travers les siècles. Une Omega … Elle venait de devenir une Omega. Une Omega aux yeux bleus glaciers … Une Omega qui inversait ses prénoms : pour tous, désormais, elle serait Nymeria, car comment continuer en tant qu’Awentia, alors que son double, son autre, venait de la quitter. Nymeria, l’Omega aux yeux bleus glaciers …


Garder les yeux grands ouverts, et s’émerveiller du paysage. Les yeux bleus-gris de Nymeria défiaient les étoiles qui brillaient haut, là-haut, dans le ciel. Elle avait envie de pleurer, et elle se contenait avec grande difficulté. Mais elle se contenait, car il y avait déjà longtemps qu’elle n’avait plus rien d’une adolescente instable, émotionnelle, et qui laissait ses hormones dicter ses réactions. Mais elle ressentait un vide immense en elle. Une plaie béante s’était ouverte, une de plus, et la jeune femme voyait difficilement comment celle-ci allait un jour réussir à se fermer. Sans doute une telle chose ne surviendrait-elle jamais. Après tout, ce qui venait de se passer, ou plutôt, ce qui s’était passé, il y avait déjà 1 an de cela, défiait toute règle de la logique : dans l’ordre des choses, c’est aux enfants d’enterrer leurs parents, pas l’inverse. Et pourtant … Pourtant, c’était ce qui était advenu, ou plutôt, ce qui aurait dû advenir. Mais rien ne s’était passé ainsi. Et Nymeria enrageait. Il y avait cette chaleur au fond d’elle, cette fournaise qui l’embrasait, toute entière, des pieds à la tête. Son iris changea alors de couleur, à ce simple souvenir. De corps, il n’y en avait pas eu. Parce qu’il était introuvable, et parce que Nymeria s’était réveillée à plusieurs kilomètres du lieu du crime. Son fils, son tout petit bout de chou. Un enfant innocent, de 2 ans à peine. Il n’avait rien fait de mal, il n’avait même pas encore manifesté la moindre menace pour qui ce soit. Mais il était comme elle, né loup-garou. Et Nymeria avait plus ou moins reproduit le même schéma que sa mère : Colton était né de père inconnu, officiellement, et il n’avait que 17 ans de moins que sa mère. Perdue dans un tourbillon infernal pendant plusieurs mois après la mort de sa meute, et d’Awinita, surtout, Nymeria s’était laissée dérivée, enchaînant les erreurs. Et parmi ces erreurs, il y avait eu cette relation avec le premier loup-garou masculin pas trop moche qu’elle avait croisé. Il avait tout de même près de 10 ans de plus qu’elle, et avant qu’elle n’ait eu le temps de lui annoncer qu’elle était enceinte, il avait déjà décampé. Ou plutôt lui avait-il intimé l’ordre, à elle, de décamper, et au plus vite. Et 2 ans plus tard, Nymeria perdait son ange, sa raison de vivre, ou presque. Il lui suffisait de penser à lui pour sentir tout retrouver un peu de contrôle, les soirs de pleine lune. Encore aujourd’hui, la jeune femme ignorait totalement comment ce chasseur avait pu les traquer, tous les deux. Il avait utilisé une façon peu commune de s’en prendre à un loup-garou, il fallait bien le reconnaître. Jouer aux auto-tamponneuses en mode réel, c’était assez spécial … Percutée de côté, Nymeria avait eu plusieurs côtes de casser, l’empêchant d’intervenir alors que ce chasseur avait traîné Colton hors de la voiture, pour lui régler son compte. Et alors qu’elle sortait enfin de l’habitacle, lui avait eu le temps de remonter dans son véhicule, et de la percuter. Elle avait fermé les yeux sur le corps sans vie de Colton. Elle les avait ré-ouvert dans le rouge sanguin de Nadan. Sur le moment, elle avait été déstabilisé, sentant des mains trop gracieuses, fines et délicates pour appartenir à Nadan, parcourir son corps en plusieurs endroits. Everleigh … Tout ceci s’était passé il y avait un an de cela, déjà. Nymeria ne s’en était pas encore remise. Elle avait changé, une fois de plus. Et le plus gros changement intervenu dans sa vie à cet instant là avait été d’intégrer une meute, celle de Nadan, alors même qu’elle n’y connaissait personne. Mais il l’avait sauvé, il lui avait offert un abri, un refuge, un lieu où enfin se sentir entourée. Un lieu où personne ne la jugerait, où personne ne lui poserait trop de questions indiscrètes sur la couleur de ses yeux. Un refuge … Sans trop de difficultés, ce qui l’étonnait encore aujourd’hui, Nymeria s’était assez rapidement sentie à sa place. Elle s’entendait bien avec Nadan et Everleigh. Elle n’en était pas encore venue à tout partager avec eux, de son passé, de ses traumatismes, mais cela viendrait, très probablement. Ils étaient sa nouvelle famille, à présent. Elle n’avait plus personne, et ils lui avaient ouverts les bras. Elle était heureuse pour elle, qu’ils s’aiment avec tant de force, qu’ils se soient trouvés, qu’ils aient une meute assez disciplinée pour ne pas être de celles qui mettent la zone là où elles s’installent. Nymeria sentit une main se poser sur l’une de ses épaules. Elle n’eut même pas à se retourner pour reconnaître Nadan. Au même instant, une main se glissa dans l’une des siennes, alors qu’elle sentit la tête d’Everleigh se poser sur son autre épaule. Et, dans le même temps, une silhouette se faufilait, à quatre pattes, venant poser son museau tout contre son autre main, du moins, essayant : Ulven, Northern Inuit que Nymeria avait trouvé derrière chez un éleveur de la région. Un tout petit chiot, abandonné dans l’arrière cour car trop faible. Il avait grandi, depuis, mais il n’était pas encore assez grand pour atteindre la main de Nymeria sans devoir sauter. Mais peu importait. Ils étaient là, pour elle, tout comme elle serait là, pour eux : n’importe où, n’importe quand. Ses yeux revinrent à leur couleur naturelle, ce bleu-gris qui lui était si caractéristique. Ici, avec eux, elle était en sécurité. Elle se sentait bien. Les étoiles en étaient témoins.


Son reflet lui parvint, dans le miroir de sa salle de bain. Un reflet qui lui renvoya la brillance de ses yeux bleus-gris, dont le regard semblait un peu anxieux. Elle venait de débarquer dans une nouvelle ville, Storms Hill, Montana. Elle n’y connaissait personne, et pour cause, elle n’y avait encore jamais mis les pieds. Elle n’aurait probablement jamais su qu’une telle ville existait si Nadan ne lui en avait pas parlé. Vite fait. En coup de vent. Au passage. Lorsqu’ils en étaient encore au stade de faire connaissance, et qu’elle lui avait avoué être née à l’étranger. Lui venait de Storms Hill, et si Nymeria ne savait pratiquement rien des causes du départ de l’Alpha, elle savait au moins qu’ici vivait la meute d’origine de Nadan, sa famille, qui plus était. En venant ici, elle s’était dit qu’elle serait en sécurité. Maintenant, elle n’en était plus autant persuadée qu’avant. Mais elle n’allait pas faire marche arrière : avec un peu de chance, les Cavanaugh sauraient tout faire rentrer dans l’ordre, et sauraient l’aider, peut-être, sait-on jamais, si, en tant qu’Omega, elle était dans les ennuis jusqu’au cou. De toute façon, tout ceci ne serait probablement pas pire que ce qu’elle venait de vivre, durant ces derniers mois. La meute avait connu des dissensions, lorsqu’Everleigh avait tenté de revendiquer le pouvoir à Nadan. Nymeria avait refusé de choisir un camp, mais malgré tout, elle était restée fidèle à Nadan, son Alpha, qu’elle jugeait juste et équitable, et d’une certaine façon, elle avait sans doute tout de même choisi un camp. Pourtant, Everleigh et elle s’étaient entendues à merveille, mais là, Nymeria n’avait pu, d’une certaine façon aussi, que désavouer son amie. La meute avait été déstabilisée, et ce climat n’avait pas été le plus agréable qui soit, c’était le moins que l’on pouvait dire. Et un jour, sans s’y attendre réellement, le couperet était tombé : Everleigh était morte. Un chasseur l’avait tuée. Et tout avait explosé : la meute, le cœur de Nymeria, tout. Surtout Nadan, d’ailleurs, ce qui était logique, et normal. Les dissensions n’avaient pas tué l’amour qu’il portait à sa louve. Nymeria avait perdu une grande amie, et elle avait aussi perdu Nadan, incapable de le consoler et de le raisonner comme elle aurait dû : tout ceci avait réveillé tant de choses en elle, tant de mauvais souvenirs, tant de dures épreuves, qu’elle s’était sentie à nouveau submergée par un torrent glacial, mortel, désarçonnant et déboussolant. Elle avait toujours essayé d’avancer dans la vie sans jamais rien oublier, mais sans jamais rien ressasser non plus : certaines plaies restaient ouvertes, faute de traitements adéquats, résultat, tout ressurgissait quand un parallèle se dressait sur la route de Nymeria. Elle avait pris un peu de recul, s’était accordée quelques jours, loin de Nadan, et des membres de la meute explosée. Et Il lui était tombé dessus. Adonis. Alpha de son état. Et surtout, très barré dans sa tête. Nymeria se sentit frissonner, alors qu’à l’intérieur d’elle, son état lupin demandait à sortir, comme grattant légèrement à la porte. Elle réprima cette envie, ses yeux ne prenant la teinte bleue glaciale qu’une fraction de seconde. Adonis lui avait fait vivre un enfer. C’était un enfoiré, un connard de première. Le genre d’Alpha, et plus largement, de loup-garou, qui favorise la chasse et la traque de tous leurs congénères de par une attitude dépravée, meurtrière et sanguinaire. Les règles n’avaient aucune importance pour lui, et lorsqu’il voulait quelque chose, il outrepassait tous les obstacles : et il se targuait de toujours obtenir ce qu’il voulait. Nymeria n’était déjà plus une enfant, de plus, elle n’avait jamais été manichéenne : elle savait bien que le Mal prend différentes apparences, et qu’il n’y a pas que les chasseurs qui peuvent avoir une case en moins. Adonis la trouva très à son goût, et il l’a fit enlever. Comment avait-il pu se mettre dans la tête qu’ils étaient faits pour être ensembles, ou plutôt, qu’elle était faîte pour lui, et ce alors que Nymeria n’était arrivée dans la ville où il vivait avec sa meute que depuis quelques jours seulement ? Le mystère de la folie et de la tyrannie resterait sans doute toujours une véracité vérifiable. Elle avait, de toute façon, abandonné depuis longtemps l’idée de tout comprendre à tout. Nymeria avait dû rester auprès de lui, subir ses caprices, ses volontés, ses mauvais traitements, et ce pendant plusieurs mois. De longs mois. De trop longs mois. Heureusement, tous les loups de cette meute n’étaient pas ainsi : il y avait l’Alpha, et ses plus proches, des tarés, sanguinaires, eux aussi, mais les autres Betas être des êtres respectables. Mordus pour différentes raisons. C’était auprès d’eux que Nymeria avait réussi à sauver sa vie, sa raison, à ne pas sombrer dans la folie, à ne pas baisser les bras. Elle fermait les yeux lorsque le plus dur arrivait. Elle prétendait qu’elle était ailleurs, elle se détachait complètement de la réalité. Elle se scindait en deux, d’une certaine façon. Tout avait fini en bain de sang, lorsque l’un des plus proches amis d’Adonis avait décidé que son Alpha se montrait trop attaché à une vulgaire louve : c’était ainsi que certains parlaient de Nymeria. Il avait défié Adonis, soutenu par d’autres, et il avait fini par le tuer, avant d’ordonner à Nymeria de fuir, si elle tenait à la vie. Il lui avait donné 1h d’avance, et s’était ensuite lancé à ses trousses. Mais la jeune femme n’avait pas fait de vieux os, et elle était déjà loin. A présent, elle vivait à Storms Hill. Depuis une petite semaine. Elle était retournée là où vivait son ancienne meute, celle de Nadan, mais elle n’avait trouvé personne. Elle ne s’y était de toute façon par attarder, comme suite à un pressentiment. Le seul être qu’elle y avait retrouvé, c’était Ulven. Il l’avait comme attendue, tout ce temps. Désormais, il avait atteint sa taille adulte, et Nymeria avait senti son cœur s’enflammer lorsqu’il s’était approché d’elle, et lui avait mordillé les doigts. Un geste d’affection, une façon pour lui, aussi, de lui dire qu’il était là, qu’il serait toujours là. Nymeria tourna la tête, et l’observa, assit dans l’entrebâillement de la porte. Une nouvelle vie commençait, ici, pour elle, et Ulven en ferait parti. Et, qui sait, peut-être que plus d’un succomberait aux jolis yeux bleus-gris de Nymeria, assez, en tout cas, pour lui faire une place dans leur vie.  Qui sait …