"I hope she'll be a fool, a beautiful little fool.”  

I’ve tried to make this life my own, to find myself, I’ve searched alone. To let love go and let it in, I found it burning like a sin. I’ve worked it out, but learned it hard, it’s sad inside and life is out.
Till I won’t settle down and watch either way

Et je me rappelle de ce geste, de ce mouvement de poignet montant et descendant tandis que la brosse qu’elle tenait caressait délicatement les cheveux blonds de ma sœur – ou de mes sœurs. J’étais hypnotisée par ce rituel qui paraissait si routinier et pourtant j’étais incapable d’expliquer pourquoi mes yeux refusaient de quitter les mèches dorées de Robbie et Billie. J’adorais observer ma mère les coiffer, mais je détestais quand c’était mon tour. Parce que ça me donnait l’impression de n’être qu’une corvée, où était le plaisir quand on répétait la même action pour la troisième fois, sur une tête identique et de façon identique ? Il n’y en a pas. Et petite déjà, je l’avais compris. Petite déjà, je rêvais d’être quelqu’un, d’être unique, d’être moi. Je rêvais d’être autre chose que « la triplette. » Mais à aucun moment je n’avais prévu de m’enfoncer autant. A aucun moment je n’avais imaginé que ma vie changerait du tout au tout ou que mon perpétuel désir de me sentir différente me ferait dégénérer à ce point. Non, je n’avais rien prévu de tout cela, je n’étais qu’une petite fille qui courait dans sa bulle une aiguille dans la main. Je n’avais rien prévu. Et pourtant, je ne regrette rien...

Jacqueline Beth Fawkes. C’est comme ça que mes parents ont décidé de me prénommer. Mais si vous tenez à la vie, vous feriez mieux de vous contenter de m’appeler Jackie. Juste Jackie. Je suis née et j’ai grandi dans le Montana, pas très hors du commun, mis à part que j’ai deux sœurs qui me ressemblent comme deux gouttes d’eau, et pour cause, on est toutes les trois nées le même jour. Des triplées, oh que c’est mignon. D’un point de vue extérieur, maybe, mais je peux vous assurer que parfois, je me dis que j’aurais préféré ne pas être leur sœur. Ne vous méprenez pas, ma Billie et ma Robbie, je les adore, je ferai absolument tout pour elles ou pour qu’elles soient heureuses mais c’est juste qu’il y a des moments où j’étouffe tout simplement. Normal après tout. Et je pense que c’est ce qui a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui. Pour tout vous dire, je ne me rappelle même plus de la petite fille qui un jour se baladait avec des couettes blondes qui tombaient sur ses épaules et une robe de princesse Jacqueline, nop, cette gamine est définitivement partie. Elle me manque parfois. Et peut-être que les choses se seraient passées différemment si j’avais grandi dans une famille différente. Mes parents. Comment dire ? Vous voyez monsieur et madame Lisbon à la Virgin Suicides ? Hm, on peut facilement les comparer à eux. Ils sont stricts, ils ont un balai enfoncé dans un endroit que je m’abstiendrais de citer, ils sont excessivement protecteurs, bref ils sont bizarres. Mais je vous assure, il n’est pas là question de suicide. Et encore moins de virgin pour tout vous dire mais là n’est pas la question. Si je vous dis tout ça, c’est parce que je pense que c’est un détail fondamental dans ce qui a fait que je suis celle que je suis aujourd’hui. Forcément, ils voulaient de nous qu’on soit parfaites, qu’on montre une image de sainte-nitouches bien élevées et de bonne famille mais ça n’a pas marché. En fait, ils ont failé trois fois. Moi, j’ai rapidement dégénéré j’en ai conscience. Je pense même qu’au lycée je devais avoir une réputation dont très peu de personnes seraient fières. Est-ce que ça m’a traumatisée ? Pas le moins du monde. En fait c’est simple : je ne cherchais pas à nier que oui, j’étais complètement dépravée, et je le suis toujours d’ailleurs. Je marchais dans les couloirs du lycée avec mon éternel air impétueux et désinvolte, mes cheveux autrefois blonds devenus aussi noirs que mes pupilles et mes habits reflétant mon attitude de rebelle je m’en foutiste. Oh je vous rassure, ça mes parents ne le voyaient pas. Disons que malgré leur comportement que je jugeais aliéné, je les aimais quand même, du moins suffisamment pour leur épargner une crise cardiaque à la vue de leur petit ange déchu. C'était ce que j'étais non ? Un petit ange déchu parce qu'il avait lui même décidé de se couper les ailes et de sauter du paradis. Et cette chute nous a menées, Billie, Robbie et moi, dans une petite ville du Montana à nos 18 ans, quand on s’est tout simplement cassé de chez nous, se faisant la promesse de ne plus jamais faire demi-tour. Ironie quand tu nous tiens, on n’a même pas été capable de quitter l’état mais l’important c’était qu’on était ensemble, et qu’on était loin de nos parents. Je ne vais pas vous mentir, je ne pensais pas que tout cela serait aussi compliqué et pour cause : Billie travaillait à la bibliothèque, Robbie dans un bar, et moi, ben moi j’étais chômeuse. Que voulez vous, je n’ai jamais pris l’école au sérieux et visiblement je n’inspire pas suffisamment confiance pour être embauchée quelque part. Fuck it. En fait,  je m’en fiche un peu parce que je trouve toujours le moyen de me débrouiller. Certes pas de façon très légale mais bon on fait avec ce qu’on a. Et à défaut d’avoir un joli CV, j’ai un cerveau et de la jugeote, chose qu’il ne faut définitivement pas négliger. Du coup, je rends service à des gens bizarres en échange d’une liasse de billets. Je vous l’accorde, il y a mieux question dignité. Mais depuis peu, tout ça a changé, parce que depuis peu j’ai découvert, j’ai découvert un tout autre monde dont je n’aurais jamais soupçonné l’existence. Et vous vous souvenez de la petite fille aux couettes dorées qui jouaient à la princesse ? Celle qui est partie ? Et vous vous souvenez de l’ange déchu qui ne parvenait qu’à gâcher sa vie ? Lui aussi il est parti. Parce que depuis peu, je me suis fait des nouveaux amis, des nouveaux amis chasseurs. Et depuis peu, j'ai enfin l'impression que je suis quelqu'un, et que je suis importante. Parce que depuis peu, j'ai le sentiment d'avoir trouvé un but dans ma vie.